Paru dans http://www.mesnil-sellieres.com/
Nouveau succès pour le Comité des fêtes qui organisait son vide-grenier annuel le 9 mai dernier. Cent soixante exposants étaient inscrits et la variété des étals compensait quelques défections.
Les places avaient été marquées depuis l’entrée du village – premier virage à gauche- jusqu’à la mare du haut. Comme à l’habitude, buvettes, marchands de frites, jeux pour les enfants promettaient une journée riche en distractions pour les visiteurs venus de loin. Les villageois eux, avaient ouvert leurs portes aux amis. Depuis que la manifestation existe, il y belle lurette que les greniers familiaux sont vides. « La vie de grenier c’est pas une vie » disait le chandelier à la pendule. « Nous étions autrefois enviés, dorlotés, astiqués. Sur la commode ou la cheminée on nous montrait aux visiteurs. Et tout à coup plus rien. L’ombre, la poussière et le voisinage indiscret des rongeurs. … » Il faudra une vente, un décès, des travaux de rénovation pour qu’atterrissent sur un bout de trottoir les vestiges de vies fanées ou perdues. Posés là parmi d’autres, en toute simplicité, sans ordre, la théière sans couvercle et le rasoir à main côtoient les poupées de fillettes. « Pourquoi un corbeau ressemble-t-il à un bureau ?» demandait le Chapelier à Alice. « C’est qu’un corbeau et un bureau peuvent produire quelques notes… et que jamais leur derrière n’est devant… » répondra C.L Dodgson après mûre réflexion. Les alignements hétéroclites et colorés, mais aussi l’objet tout simple dans sa solitude nue peuvent inspirer. Voici quelques exemples (on en gardera en réserve pour les prochaines années…)
Le cageot
A mi-chemin de la cage au cachot la langue française a cageot, simple caissette à claire-voie vouée au transport de ces fruits qui de la moindre suffocation font à coup sûr une maladie.
Agencé de façon qu'au terme de son usage il puisse être brisé sans effort, il ne sert pas deux fois. Ainsi dure-t-il moins encore que les denrées fondantes ou nuageuses qu'il enferme.
A tous les coins de rues qui aboutissent aux halles, il luit alors de l'éclat sans vanité du bois blanc. Tout neuf encore, et légèrement ahuri d'être dans une pose maladroite à la voirie jeté sans retour, cet objet est en somme des plus sympathiques - sur le sort duquel il convient toutefois de ne s'appesantir longuement.
(F. Ponge, Le Parti pris des choses, 1942)
Le crayon
La surface d’un crayon, parfois recouverte d’une peinture qui s’écaille avec le temps, est le plus souvent dénuée de la moindre courbe. Sa silhouette presque architecturale se termine parfois par un bout de gomme.La météo avait paru médiocre la veille. C’est pourtant sous le soleil que les chineurs et les badauds purent se livrer à leur passion favorite, et les familles satisfaire à bon compte les envies des enfants.
C’est ainsi pour nous qu’une banale baguette de bois fut travaillée, épurée, pour obtenir cette perfection qui, à nos yeux, est devenue banale après tant d’années d’utilisation monotone et abusive. C’est pourquoi, sans regrets, nous nous adonnons au supplice du taille-crayon, qui, rétrécissant peu à peu le majestueux objet, amènera un jour sa perte.
Cet acte barbare qui peut sembler anodin a pour but de tailler la mine du crayon, pointue et sèche, sans laquelle l’objet perdrait son but. C’est ainsi qu’au cœur du crayon, se trouve une mine frêle, prête à se briser au moindre choc, fragilisant cet artiste éphémère.
C’est grâce à elle également que l’objet voyage sur nos feuilles, court, décrit courbes ou lignes droites, esquisse des lettres ou des notes durant sa courte vie.
Finalement, cet objet commun cèdera sa place à d’autres lorsque nos lettres l’auront trop usé, lorsqu’en bout de course, il finira dans la poubelle.
Océane FIANT.
Le balai
C’est un humble balai de chiendent, trop dur
Pour une chambre ou pour la peinture d’un mur.
L’usage en est navrant et ne vaut pas qu’on rie.
Racine prise à quelque ancienne prairie
Son crin inerte sèche : et son manche a blanchi.
Tel un bois d’île à la canicule rougi.
La cordelette semble une tresse gelée.
J’aime de cet objet la saveur désolée
Et j’en voudrais laver tes larges bords de lait,
Ô Lune où l’esprit de nos Sœurs mortes se plaît.
Arthur Rimbaud
Le vendeur aura parfois tenté de redonner leur lustre aux objets exhumés. Souvent pour faire plus vrai, plus vieux, on aura laissé la patine et les dépôts grisâtres, comme on le voit sur certaines bouteilles de vin longtemps assoupies dans les caves. Ainsi les choses transitent, et d’année en année changent de propriétaire. Seuls quelques amateurs motivés proposent des curiosités. On aura remarqué spécialement cette année un collectionneur chevronné liquidant les œuvres –presque- complètes de Johnny Halliday ! Initiative prématurée : l’exilé fiscal ayant encore dit-on quelques messages musicaux à délivrer… Un ami a déniché un bizarre engin de bois qui tient du masque vénitien et du théodolite. C’est en fait une visionneuse stéréoscopique. (« Stéréoscope de Holmes » dit aussi « stéréoscope mexicain ») Le gros des transactions concerne sans doute les jouets et les vêtements. L’enfant grandit, les modes passent. Là, point d’improvisation : on a lavé, repassé avec soin, disposé sur des cintres, protégé par des housses les grenouillères, les robes et les maillots. Des enfants grandissants bradent leurs vieux jouets chéris. Ils ont disposé sur les tables mobiles des bataillons de figurines, des collections patiemment rassemblées, des familles de peluches délaissées implorant l’adoption. Ici une fillette pleure : elle-même avait choisi patiemment les jouets qu’elle allait vendre et réalise soudain qu’elle ne les aura plus ! Heureusement, aucune statistique ne vient perturber les marchandages. Car discuter du prix renoue avec les origines du commerce et réintroduit la relation, voire le rite- on discute pour le principe- dans l’acte d’échange. Achats et ventes, point de bilan global. Le PIB n’est pas affecté. Chacun fera chez soi ses comptes, le temps passé en conversations et rencontres figurant dans la colonne recettes. Valeur d’usage, valeur marchande, l’économie de proximité favorise la relation humaine dans le monde de la marchandise.
